Quoi de plus absurde que de répondre à l’injonction de la nouveauté quand elle se formule au travers d’une langue morte ? C’est peut être pour conjurer la fin du langage philosophique que je tente de manifester sa pertinence au travers de thèmes et d’objets issus du quotidien.

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Nouvelles perspectives expressives du rapport entre le texte et l'image

La multiplicité des rapports entre le texte et l’image est infinie et parce qu’il est impossible de tous les embrasser en un seul travail, il serait vain de prétendre à réussir à ordonner et hiérarchiser ces différents rapports. Néanmoins l’éditeur joue ici un rôle capital dans l’articulation qu’il choisit de donner entre le mode texte et le mode image. Si ce choix peut être aussi celui de l’auteur et de l’illustrateur, l’éditeur s’il n’en est pas l’initiateur est néanmoins celui qui va concrétiser par la réalisation de l’objet cette pensée du rapport entre le texte et l’image. La matérialité de la production est donc essentielle puisqu’elle représente à la fois une affirmation, mais aussi une revendication d’un certain rapport esthétique entre le verbe et le pictural. De nombreuses maisons d’éditions[1],ont d’ailleurs forgé leur identité grâce à ce développement visuel, synonyme de particularité et de personnalité. Malgré la grande diversité des approches conjointes entre l’expression littéraire et l’expression graphique, il est toujours possible distinguer plusieurs types de rapports texte/image. C’est selon cette distinction générique que nous développerons donc cette troisième partie.

La distinction nette entre le texte et l’image :

Cette distinction nette et catégorique peut sembler a priori un peu vieillotte. Effectivement la production de livres où le texte et l’image sont clairement séparés, voire sur des pages différentes, devient de plus en plus rare. Elle participe néanmoins d’une véritable rationalité et dispose d’une véritable légitimité. Ainsi si l’on s’accorde à penser que le texte et l’image appartiennent à deux régimes représentatifs bien distincts, on accepte également que leur mode de fonctionnement soit radicalement différent. Le langage textuel et le langage de l’image non-miscibles imposent la formation de deux espaces bien distincts réservés. La solution la plus courante est le texte en regard de l’image, c’est à dire que le texte figure dans la page face à l’image. Ici par exemple, Sandman[2], une récente collaboration entre deux artistes[3] reconnus dans leur discipline.


Cette séparation spatiale du texte et de l’image ne les coupe pas l’un de l’autre et ne réduit pas nécessairement la puissance expressive de l’un au profit de l’autre. Parfois même, grâce aux miracles de l’imaginaire, le texte abandonne son sérieux habituel et accepte de se soumettre aux fantaisies proposées par l’ouvrage. L’imagination qui a longtemps été taxée en philosophie de folle du logis parmi les facultés intellectuelles que sont la rationalité ou le jugement redevient un moteur puissant du langage qui abandonne de fait la véracité pour lui préférer l’expressivité émotive. L’image peut même réussir à représenter l’impossible, on parle alors de farfelu, d’élucubration ou de mirage. Un livre du catalogue Gulf Stream est construit tout entier dans cette perspective, il s’agit du Cirque imaginaire.[4]






Si la littérature jeunesse est très richement illustrée, c’est parce que l’enfance est l’âge où l’on bride le moins son imaginaire[5]. Le symbole[6] et l’image symbolique en particulier dépasse les clivages traditionnels de la rationalité. Qu’une chose soit réelle ou non n’empêche pas la possibilité de se la représenter. Peu importe que la licorne existe ou non, je peux m’imaginer une licorne, et je peux rendre jolie l’image que je vais transmettre de cette licorne. L’image peut rendre vraisemblable et joli ce qui n’existe pas. Le texte ne donnera aucune représentation, et les représentations qu’il fera naitre ne seront en réalité que des stimulations d’images anciennes. Du texte ne peut naitre autre chose que du langage et de l’image ne peut naitre autre chose que des fantaisies[7]. Partant de ce constat, écrit et image peuvent bien dire la même chose sans montrer le même objet et au contraire dire deux choses différentes au moyen du même objet.

« En tant que romancière pour la jeunesse, j'ai eu l'occasion, à de nombreuses reprises, de réfléchir sur le rapport de l'image et du texte, Je dirais que leur association présente le grand mérite de proposer au lecteur un double regard. L'écriture en elle-même "souffle" des images par l'association des mots et les choix stylistiques de l'auteur. L'illustrateur de son côté ouvre un monde, le sien. Il ne faut pas forcément chercher l'harmonie; la discordance peut être très productive et expressive. Elle sert un élément essentiel : la liberté offerte au lecteur de nourrir sa sensibilité à des sources différentes. »[8]

Une multiplicité de conjugaisons est donc possible dans une conception disjonctive du texte et de l’image. Ils se nourrissent l’un de l’autre en éprouvant en même temps leurs propres limites. L’image relaie le verbe vers l’imaginaire, et le mot relaie la représentation vers l’intellect. Ce constant allez et retour, cette stimulation répétée des différentes facultés de l’esprit est essentielle, et particulièrement à l’âge où l’enfant apprend à lire. L’apprentissage de la lecture ne saurait naïvement être réduit au cours préparatoire et au cours élémentaire. L’enfant, infans étymologiquement, c’est celui qui ne parle pas, qui ne détient pas la science du langage. C’est justement par l’image, la représentation et la monstration qu’il comprend l’utilité du nom. L’imagier[9] joue en effet un rôle fondamentale dans la construction première du langage.




[1] De littérature jeunesse, mais aussi de littérature  dite « adulte », albums pour adultes, beaux livres, livre techniques… Les livres qui font appel à l’illustration sont bien plus nombreux que ce que l’on peut imaginer.
[2] AMANO Y., GAIMAN N., Sandman, Norma, Paris, 2003.
[3] Amano est un artiste japonais. Sa consécration vient avec le travail considérable qu’il fournit sur les différents Final Fantasy que ce soit en terme de chara design ou en terme d’illustration. Gaiman quant à lui est un auteur à succès de comics et de romans. Assez paradoxalement, leur travail relève beaucoup plus du travail traditionnel que d’une esthétique résolument moderne."
[4] CECCARELLI S.Le Cirque imaginaire, Gulf Stream, 2007.
[5] Je n’épouserais pas ici la perspective freudienne qui veut que l’enfance soit l’âge de l’apprentissage du refoulement et de la frustration. Cette affirmation n’a rien d’un argument, elle se veut pure observation.
[6] Il ne faudrait pas limiter le symbole à sa dimension imaginale, mais l’étendre à toutes les formes d’expressions humaines.
[7] En accord avec l’origine étymologique du mot fantasia, j’entends par là des représentations.
[8] Propos de Françoise Grard recueillis pour la constitution de panneaux visant à accompagner l’exposition itinérante La comtesse de Ségur, bonheurs et malheurs de Sophie Rostopchine.
[9] MICHELINI C. A.Un, deux, trois, la grenouille c’est moi, Nathan, 2002 (date de la dernière édition).
[10] PELLEGRIN M-F., Préface De la recherche de la vérité de Malebranche, GF Flammarion, Paris, 2006, présentation.