Quoi de plus absurde que de répondre à l’injonction de la nouveauté quand elle se formule au travers d’une langue morte ? C’est peut être pour conjurer la fin du langage philosophique que je tente de manifester sa pertinence au travers de thèmes et d’objets issus du quotidien.

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Batman, Anthropologie et Politique

Mon premier s’appelle Bruce, mon deuxième porte un masque, mon troisième sort la nuit pour faire régner la justice. Batman, anthropologie et politique


Que Batman puisse être considéré comme un personnage romanesque, cela semble concevable. Que Batman puisse être traité en psychologie clinique comme un cas pathologique classique, passe encore. Mais que Batman puisse être traité dans une analyse conceptuelle, voilà ce qui semble très discutable et pour ainsi dire ridicule.

Pourtant, nous allons essayer de montrer que ce personnage créé par Bob Kane en 1939 et qui fait exister toute une œuvre plurielle et multiple autour de son mythe, nous donne à penser un certain nombre de problèmes philosophiques et illustre continuellement des arguments philosophiques que nous allons essayer de restituer. Bien évidemment, ce travail ne saurait être un travail exhaustif, je n’ai pas lu tout ce qui a pu sortir en 75 ans sur Batman et ce projet dantesque ne m’aiderait pas à produire un propos plus unifié tant sont diverses les interprétations et les mises en scènes de Batman par les différents auteurs et les différentes époques. Il faut pour comprendre cette diversité non réunifiable, penser à ce que pouvaient être les mythes à l’époque de la Grèce Antique. Le néophyte croit souvent à tort qu’il existe une version juste, authentique du mythe, quand toutes les autres ne sont que des modulations, des changements quand elles ne sont pas des trahisons. Je crois qu’au contraire, il faut considérer le mythe dans sa diversité et sa multiplicité comme autant d’interprétations humaines de phénomènes concrets ou qui nous aident à mieux penser le réel. 


Batman partage avec Sherlock Holmes le titre de plus grand détective du monde. Mais au fond, nous sommes nous véritablement demandé ce qu’était un détective ? C’est l’homme, qui, parce qu’il n’est ni lassé, ni blasé du monde ne cesse d’exercer sa curiosité et de mettre en doute les évidences pour dépasser les phénomènes et les apparences. Ne serait-ce pas une définition bien proche de ce que nous appelons le philosophe ?

Nous essaierons afin de réfléchir à cette proximité de préciser quelque peu qui est Batman pour ceux qui ne le connaitrait pas, et à cette occasion rappeler quelques éléments saillants du personnage conceptuel. Nous dirons donc, avant toute chose qu’il n’est pas un super héros, et qu’en l’absence de pouvoir, c’est bien la technique qui lui permet de vaincre ses adversaires et de se hisser au-dessus de sa propre condition. Ensuite, nous étudierons qui il est dans son rapport au Joker, que l’on peut aisément considérer comme son plus grand adversaire, sa Némésis, d’une certaine manière, puisque au-delà d’être un simple opposant, il est un véritable rival mimétique de Batman, comme nous le verrons plus tard. Cette relation, loin d’être comparable à ses rapports avec ses autres adversaires est un lien constitutif de sa propre nature, et en ce sens, il faut le penser de manière spécifique. Ce conflit n’est en rien d’autre que l’illustration de la distinction entre le juste et l’injuste et elle est précisément celle à partir de laquelle doit être pensée la nature de l’action de Batman. Peut-on pour autant, en prenant pour prétexte qu’elle concerne tout Gotham, la considérer comme politique ? Au fond, peut-on penser le Dark Knight comme un agent politique comme les autres ?

I) Bruce Wayne / Batman n’est pas un super héros


On entend trop souvent parler de Batman comme d’un super héros, ce qui est une aberration monstrueuse lorsque l’on sait précisément que Bruce Wayne ne jouit, contrairement à Superman, Spiderman, Hulk ou les X Men d’aucun super pouvoir. C’est sans doute le lot des personnages populaires que d’être aussi mal connus et mal compris. C’est pourtant essentiel si l’on veut comprendre le mythe, il faut comprendre que Batman est un homme, ni pire, ni meilleur qu’un autre, humain trop humain, sans doute, comme dirait l’autre. Il est pourtant essentiel pour comprendre le mythe de reconnaître Batman comme un homme.

Loin de disposer de capacités innées, et par là même, d’une certaine manière injustes, puisque inéquitablement réparties, Bruce se forge en s’entraînant rigoureusement à tous les arts martiaux connus. Nulle détermination sociale ou prédisposition familiale ni même un patrimoine génétique exceptionnel ne le conduisent à cet entraînement si ce n’est la farouche volonté de venger la mort de ses propres parents, assassinés dans une ruelle, un soir tragique, en rentrant de l’opéra. C’est en tout cas la version présentée par Christopher Nolan, dans son Batman Begins, parce que d’autres versions font aller la famille Wayne au cinéma voir The Mark of Zorro avant d’être sauvagement abattus.


La mort des parents de Bruce Wayne,
NOLAN C., Batman Begins, Warner Bros, 2005.

Si ce n’est pas sa position sociale qui fait de lui le Batman, la richesse familiale des Wayne est mise au service des ambitions du justicier pour financer une recherche de pointe à même de l’aider dans son combat contre le crime.









On ne saurait judicieusement séparer trop radicalement l’exercice physique de la progression intellectuelle, parce qu’en réalité, l’un sans l’autre ne saurait garantir à Batman, sa supériorité face aux criminels qu’il affronte. S’il les surpasse, ce n’est pas par prédisposition, ni par talent ou génie, mais bien par l’effort qu’il fournit rigoureusement pour progresser. L’entraînement est à proprement parler la méthode suivie par Bruce Wayne pour devenir Batman. Il faut alors comprendre méthode dans son sens étymologique methodos de chemin emprunté. En ce sens, et en considérant qu’il s’adresse à un public de jeunes adolescents, on ne saurait masquer l’évidente ambition morale dont témoigne la construction du personnage en enjoignant d’abord de façon littérale Robin, son jeune acolyte et disciple à suivre son chemin, mais également et surtout le lecteur. Plusieurs épisodes se chargent de décrire cet entraînement rigoureux qui est dans le même temps une initiation face au mal qu’il doit affronter. Christopher Nolan dans Batman Begins choisit de montrer précisément bien qu’un peu longuement cette initiation que doit suivre Bruce Wayne pour se montrer à la hauteur de la quête qu’il s’est donnée.






La déclinaison du motif mythologique et les interprétations multiples dues aux exigences éditoriales et la répétition sont permises par le format même de la série. Elles inscrivent donc Batman et son univers dans la tradition mythique et même celle du conte de fées si l’on en croit Bettelheim :



« Eliade, dont les idées, en l’occurrence, ont été influencées par Saintyves, écrit : « Il est impossible de nier que les épreuves et les aventures des héros et des héroïnes des contes de fées soient presque toujours traduites en termes initiatiques. Ceci me parait de la plus grande importance : depuis l’époque – si difficile à déterminer – où les contes de fées ont pris forme en tant que tels, les hommes, qu’ils soient primitifs ou civilisés, les ont écoutés avec un plaisir qui permettaient une répétition infinie. […] Tout homme désire vivre certaines situations périlleuses, affronter des épreuves exceptionnelles, faire son chemin dans l’autre monde, et il peut connaitre tout cela au niveau de sa vie imaginative, en écoutant ou en lisant des contes de fées. »[1]

Batman en tant que récit et aussi en tant que personnage a donc une fonction édifiante et une portée morale indiscutable. Il faudrait, pour pouvoir le nier, réfuter les caractéristiques formelles déjà avancées et ignorer la régularité quasi systématique avec laquelle Batman se livre à son propre examen de conscience. Rares sont les comics, les films ou les jeux où Batman n’interroge pas, selon le mode antique, sa propre conscience. Difficile de rendre plus évident alors le lien entre les exercices spirituels et l’entraînement auquel se soumet Batman.


« L’attention à soi-même, la vigilance suppose évidemment la pratique de l’examen de conscience. Nous avons déjà rencontré chez Basile de Césarée cette liaison étroite entre prosochè et examen de conscience. […] L’âme, nous dit Origène, doit faire porter son examen sur ses sentiments et sur ses actions. Se propose-t-elle le bien ? Cherche-t-elle les diverses vertus ? Est-elle en progrès ? A-t-elle par exemple totalement réprimé la passion de la colère ou de la tristesse, de la crainte, de l’amour de la gloire ? Quelle est sa manière de donner et de recevoir, de juger de la vérité ? »[2]


Bruce interroge donc chacune de ses actions et lorsqu’il ne se suffit pas à son propre examen critique, il questionne Alfred, son majordome, représentation charnelle de ce que pourrait être la conscience morale intime et secrète.

« En plus de notre examen quotidien, nous devons nous examiner chaque année, chaque mois, chaque semaine et nous demander : « Où en suis-je maintenant avec cette passion qui m’accablait la semaine dernière ? De même chaque année : « J’ai été vaincu par telle passion l’an dernier, comment vais-je maintenant ? »[3]



Si l’origine de cette quête dans laquelle se lance Batman est passionnelle, elle n’en est pas moins réglée par la raison qui est le seul garde-fou contre la transformation de ce souci de la justice en une pathologie névrotique. Il faut bien reconnaître que cette option interprétative est la plus favorable et est en un certain sens assez optimiste sur le pouvoir de la raison à canaliser les pulsions. Si le justicier réussit à domestiquer sa soif inextinguible de vengeance, c’est précisément parce que l’exercice intellectuel l’élève au-dessus de ses passions.

« Nous le répétons, une âme forte n’est pas celle qui est seulement susceptible de fortes émotions mais bien celle qui conserve son équilibre, malgré les fortes émotions, de sorte que, nonobstant la tempête renfermée dans leur sein, l’intelligence et la conviction conservent toute la délicatesse de leur jeu, semblables à l’aiguille de la boussole sur le navire ballotté par une mer furieuse. »[4]



Si l’on veut bien prêter attention au surnom donné à ce justicier masqué, the dark knight, le chevalier noir, on pense tout d’abord au chevalier nocturne, de noir vêtu, agissant dans l’ombre, mais on peut aussi interpréter cette noirceur comme des profondeurs psychologiques inatteignables dans lequel Bruce Wayne se noie. Il serait alors enfermé dans une pathologique névrotique et incapable de se sortir du meurtre passé de ses parents, et serait condamné à le revivre et à empêcher, en vain, évidemment, que le crime dont il a été la victime se reproduise.



La fortification du corps n’est pas le seul moyen de Batman pour lutter contre ses ennemis, face à des adversaires comme Killer Croc ou l’Épouvantail, il doit savoir vaincre sa propre douleur et ignorer ses propres peurs. Pour ce faire, Batman devient, d’une certaine manière un sage épicurien et emprunte au tetra pharmakon certaines de ses inspirations faisant de la dissipation des craintes est un axe essentiel de l’amélioration de soi.



Les dieux ne sont pas à craindre



Dans le monde post-moderne de Batman, très peu de mention sont faites des dieux ou de Dieu. Il semble acté que dans le monde de Gotham, nul dieu ne pourrait intervenir. Il n’y aurait donc ni à s’en soucier, ni à les honorer. Pourtant, si c’est la modernité qui est responsable de la mort de Dieu, alors il faut comprendre que la culpabilité de sacrifice originel s’est dispersée sur les citoyens de Gotham.



« Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau. — Qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d'inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d'eux ? »[5]

La modernité déicide laisse place à une époque sans horizon ou l’immanence humaine est la règle, sans possibilité de fondation puisque tout universel semble y avoir disparu.

La mort n’est pas à craindre


Batman ne craint pas de mourir. On ne sait guère en réalité s’il se fiche de mourir, ou s’il recherche le kalos thanatos, la belle mort, chère aux champions. Mais qu’il s’agisse de la peur de ses adversaires, qui in fine, en le renvoyant à l’échec le renvoie à la peur de la mort, ou qu’il s’agisse d’une peur indéterminé plus proche de ce que Kierkegaard appellerait l’angoisse, la concentration extrême du combat exige qu’elles soient chassés de l’esprit.



C’est pourquoi l’Épouvantail n’est jamais, pour notre héros, qu’un ennemi intermédiaire, parce que Batman insinue la peur au plus profond du cœur de ses adversaires, mais sa sagesse et sa lucidité le protège de ce genre d’agressions psychologiques. En battant Scarecrow sur son propre terrain, il prend véritablement l’ascendant sur lui de telle sorte que c’est le maître de la peur lui-même, Jonathan Crane qui craint Batman.



Un album en particulier, Arkham Asylum[6], choisit de souligner cette importance de la psyché en montrant comment les combats menés sont loin de se limiter à des affrontements matériels où l’issue n’est déterminée que par la puissance musculaire.



Assez régulièrement Killer Croc est littéralement humilié par Batman alors qu’il est pourtant un de ses adversaires les plus impressionnants physiquement parlant, précisément comme pour souligner une certaine hiérarchie des forces, élevant toujours le spirituel au-delà du physique. L’album Venom va même plus loin, lorsque l’esprit de Batman est vaincu parce qu’il ne se remet pas de la culpabilité de ne pas avoir réussi à sauver une jeune fille. Il expérimente alors une nouvelle drogue capable de décupler sa puissance physique et sombre dans l’addiction. 


On peut supprimer la douleur



Ce quatrième élément du tetra pharmakon, commun à l’épicurisme et au stoïcisme est particulièrement important. Reconnaissant ainsi que le corps ne peut pas tout, il faut l’aider par l’esprit à endurer les douleurs qu’il ne peut éviter. Dépasser la douleur du corps, s’affranchir des obstacles à l’exercice de la justice sont à comprendre comme des épreuves et l’incapacité à les supporter signifierait la renonciation à la quête de justice que s’est fixée Batman.

« Et maintenant y-a-t-il quelqu’un que tu mettes au-dessus du sage ? Il s’est fait sur les dieux des opinions pieuses ; il est constamment sans crainte en face de la mort ; il a su comprendre quel est le but de la nature ; il s’est rendu compte que ce souverain bien est facile à atteindre et à réaliser dans son intégrité, qu’en revanche le mal le plus extrême est étroitement limité quant à la durée ou quant à l’intensité ; il se moque du destin, dont certains font le maître absolu des choses »[7]

Si ce n’est leur profonde divergence sur la nature du Destin, épicurien et stoïciens semblent être ici d’accord sur la nécessité pour l’individu de se renforcer physiquement et psychologiquement face à l’adversité pour mieux la supporter. Seul le processus initiatique peut rendre compte de la totalité métaphysique réconciliée à la fois par la reconnaissance des puissances propres du corps et de l’esprit, sous l’égide du totem :

« On devenait berserkr à la suite d’une initiation, comportant des épreuves spécifiquement guerrières. Ainsi, par exemple, chez les Chatti, nous dit Tacite, le postulant ne se coupait pas les cheveux ni la barbe avant d’avoir tué un ennemi. Chez les Taifali le jeune homme devait abattre un sanglier ou un ours, et chez les Heruli, il lui fallait combattre sans armes. A travers ces épreuves, le postulant s’appropriait le mode d’être d’un fauve : il devenait un guerrier redoutable dans la mesure où il se comportait comme une bête de proie. Il se transformait en surhomme parce qu’il réussissait à s’assimiler la force magico-religieuse partagée par les carnassiers. »[8]

Pourquoi alors un ennemi qui choisirait d’inspirer sa crainte à ses adversaires brandit il l’ombre de la chauve-souris, quand celle-ci apparait clairement moins inquiétante et bien moins menaçante que le loup, l’ours ou le tigre ? Puisque Batman opère la nuit, il limite nécessairement le choix de son totem aux animaux nocturnes, mais même parmi ceux-ci peu sont réellement nyctalopes, et à vrai dire, la chauve-souris ne l’est même pas puisqu’elle se repère par écholocalisation.

Non, si Batman choisit la chauve-souris, c’est pour une raison simple : insectivore (pour la plupart des chiroptères), elle se nourrit de ce que l’on appelle la vermine. Et si elle est aussi inquiétante, c’est parce qu’elle ne sort de sa caverne que pour chasser. On a donc peu l’occasion de la connaitre et de l’étudier, et de ce mystère provient un effroi accru.




HAECKEL E., Kunsrformen der Natur, planche 67 : Chiroptera, 1904. 

La chauve-souris et le cloître de la cathédrale de Tréguier : « Au temps jadis, une souris vint à demander l'hospitalité à une hirondelle qui avait bâti son nid dans une vieille cheminée et couvait ses œufs ; celle-ci, que son mari avait abandonnée, y consentit, mais à la condition que, durant trois jours, la souris couverait à sa place. La souris accomplit sa tâche, puis elle partit. Voilà les petits éclos, mais ils étaient couverts de poils au lieu des plumes, et ils avaient une tête et un corps de souris, avec des oreilles et des ailes crochues comme le diable. L'hirondelle en mourut de chagrin ; après ses funérailles, la reine des hirondelles fit enfermer les orphelins dans le cloître de la cathédrale de Tréguier et leur défendit, sous peine de mort, de ne jamais sortir à la lumière du soleil. Voilà pourquoi on ne voit jamais de chauve-souris pendant le jour. »[9]

Mais son étrangeté et sa forme particulière est-elle-même source d’inquiétude et la condamne, si l’on croit certaines légendes à l’exil social et l’opprobre. Voilà qui expliquerait aussi peut être l’adéquation de la figure de la chauve-souris pour Batman, un héros si mal aimé. Je n’ai su résister au plaisir de restituer cette charmante légende tant la schizophrénie du personnage s’illustre à merveille. Bruce Wayne le jour, milliardaire cynique et jeune homme plein aux as, Batman, justicier impitoyable aux qualités morales exemplaires la nuit, comment assumer ces deux identités si contradictoires ? 
Mutando mutandis, on comprend alors que Batman en se plaçant sous la protection symbolique de la chauvesouris s’engage dans la voie du guerrier afin de terrasser les nuisibles nocturnes que sont les bandits et les brigands. Loin d’être une vulgaire aventure ou une simple suite de mauvaises rencontres, il s’agit bien d’une quête tout à la fin fois déterminée par sa fin et en même temps par la construction identitaire dont elle est la condition. 

« On ne devenait pas berserkr uniquement par bravoure, par force physique ou par endurance – mais à la suite d’une expérience magico-religieuse qui modifiait radicalement le mode d’être du jeune guerrier. »[10]

Pour Bruce Wayne, c’est le meurtre de ses parents qui, en tant qu’évènement traumatique, engage une transformation totale, une métamorphose intérieure qui va le conduire à devenir le Batman. 

« On associe couramment, en psychanalyse comme en anthropologie, le sacré et l’établissement du lien religieux qu’il suppose, au sacrifice. Freud a rattaché le sacré au tabou et au totémisme, pour conclure qu’il faudrait lire « dans la formule du totémisme (pour autant qu’il s’agit de l’homme) le père à la place de l’animal totémique. »[11]

La question qu’il se pose après cela n’est pas tant « Dois-je combattre le crime ? » que « Comment le combattre ? » ; ce qui sous-entend bien évidemment la question technico-pratique, que nous allons étudier immédiatement mais aussi la question morale, combattre le mal par le mal ne serait pas un moyen efficace puisque celui qui se livrerait à une telle justice aurait tôt ou tard à se punir lui-même. 

II ) Batman et la technique



Lorsque l’homme utilise la technique sans s’y réduire, il ne décuple ses forces que dans la mesure où il reste effectivement maître de ses outils. Batman manifeste une fois de plus son humanité dans son rapport à la technique. Et pourtant, quel que soit le nombre de gadgets dont il se sert, ils ne remplacent en rien la préparation physique et le mental d’acier garantis par ses efforts et sa seule volonté. 

« Plus nos outils sont ingénieux, plus nos organes deviennent grossiers et maladroits ; à force de rassembler des machines autour de nous, nous n’en trouvons plus en nous-mêmes »[12]

Loin de se reposer sur les instruments qu’il utilise, il ne cesse de forger son propre et son propre mental afin que les outils qui sont les siens ne soient rien d’autres que les adjuvants de son propre pouvoir. Pourtant, loin d’être anecdotiques, les outils de Batman sont de véritables invariants du mythe. Sans cesse, il invente et fabrique de nouveaux gadgets susceptibles de l’aider à se sortir des pires situations. L’humanité nait avec la technique, lorsque l’homme dépasse sa condition de primate par le recours à la technique, et en ce sens, Batman est de tous les héros le plus humain et c’est comme cela qu’il se distingue de nombre de ses opposants : 

« Les hommes de l’âge pré-prométhéen « confondaient tout », « mélangeaient tout », voire « s’empêtraient en tout » […]. Cet état de confusion primordiale est dans Eschyle la caractéristique essentielle du chaos primordial, elle désigne l’élément sauvage primitif comme l’atteste un fragment du Palamède perdu, qui disait : « J’ai mené auparavant une vie de confusion semblable à celle des bêtes sauvages. »[13]






Comment ne pas voir alors dans des adversaires comme Clayface (Gueule d’argile), Killer Croc (Croc), ou Man Bat (Man Bat) de nouveaux cyclopes, incarnation d’une force sauvage, brutale, précédant, d’une certaine manière, toute humanité ? 

« C’est l’absence de ces mêmes techniques qui dans Homère attestent de l’inhumanité des Cyclopes : « Monstre sans foi ni loi qui ne font de leur mains ni plants ni labourages » (Littéralement : « Qui ne mettent pas la main à la croissance de ce qui croît » ; « chez les Cyclopes, il n’est pas un navire aux joues vermillons et pas un charpentier pour construire une flotte »), Odyssée, IX, 105-130 et 190-191. »[14]

Ces adversaires sont souvent les premiers vaincus par Batman, et on comprend facilement pourquoi, dépassés par l’usage de la technique et l’intelligence humaine. Il s’agit, en somme, de montrer en quoi l’homme dépasse la condition animale par la technique, quelques soient par ailleurs les avantages naturels ou la sauvagerie originelle. 

Qu’il s’agisse de la Batceinture, du Batarang, de la Batmobile, du Batcopter ou du Batplane tout y est, jusqu’à la Batmastercard que l’on peut voir dans le film de Joël Schumacher qu’on peut aisément disqualifier pour notre étude.






Et pourtant, malgré son immense intérêt, la technique ne peut pas tout. Elle n’est qu’un supplétif qui doit rester à sa juste place. Même dans les mains de Batman, elle ne saurait rétablir le cours de la justice, elle est impuissante au sens où elle ne saurait ramener les parents de Bruce Wayne à la vie et Gotham, ville du progrès où s’inventent constamment de nouveaux outils et où apparaissent de nouvelles techniques ne semble pourtant pas rendre heureux ses habitants.

« Les hommes sont fiers de ces conquêtes [techniques], et à bon droit. Mais ils croient avoir remarqué que ce pouvoir nouvellement acquis de disposer de l’espace et du temps, cet asservissement des forces de la nature, l’accomplissement de ce désir millénaire, n’ont pas augmenté la satisfaction du plaisir qu’ils attendent de la vie, ils ont le sentiment que tout cela ne les a pas rendus plus heureux. »[15]

La technique est, donc ici, saisie dans toute son ambiguïté, le pouvoir accru qu’elle offre sur la nature, dont on se demande même s’il est limité tout en soulignant que la technique ne change rien aux choses fondamentales de l’existence de l’existence, au grand dam de Freeze par exemple, qui ne souhaite rien d’autre que de faire revenir sa femme à la vie.


III ) Batman contre le Joker, identité et différenciation :





Je n’ai sans doute aucune contradiction à craindre en affirmant que le plus grand ennemi de Batman est le Joker. Mais s’il est si particulier et si important en un sens, ce n’est pas parce qu’il est le plus dangereux et le plus intelligent de ses adversaires, mais aussi parce que Tim Burton, dans son œuvre choisit de confondre en un personnage Jack Napier et Joe Chill, celui qui deviendra le Joker et l’assassin des parents de Bruce et qui, bien malgré lui, réveille chez le jeune enfant la volonté de faire advenir la justice qui malheureusement ne semble pas s’exercer à Gotham. De ce fait, Jack Napier, le brigand qui tue les parents de Bruce Wayne est à l’origine de la naissance de Batman, devient le Joker, en tombant dans une cuve de produits chimiques, effrayé par Batman.



Extrait vidéo n°1 :



BURTON T., Batman, Warner Bros, 1989.


La naissance de Batman :


Et lorsque Jack Napier sera précipité dans un bain d’acide, le défigurant et le condamnant à devenir le Joker, il accusera Batman de ce qui n’était qu’un accident.

Extrait vidéo n°2 :



BURTON T., Batman, Warner Bros, 1989.



La naissance du Joker





L’un et l’autre étant à l’origine de leurs transformations respectives, c’est bien plus qu’une simple inimitié qu’il peut y avoir entre ces deux hommes. La ville de Gotham n’est que l’objet qui médiatise le désir de ces deux individus par lesquelles la rivalité mimétique se construit. La ville est donc l’objet de tous les désirs, et ce, quelques soient les méchants en question, ils n’ont jamais d’autre objectif que de contrôler la ville, afin d’être reconnus tels qu’ils sont, et la plupart du temps, dans leur identité monstrueuse et transgressive. Cette reconnaissance de l’autonomie et de la singularité de la conscience est l’enjeu de cette lutte entre les personnages.

« La vocation spirituelle de l'homme se manifeste déjà dans cette lutte de tous contre tous, car cette lutte n'est pas seulement une lutte pour la vie, elle est une lutte pour être reconnu, une lutte pour prouver aux autres et se prouver à soi-même qu'on est une conscience de soi autonome, et l'on peut se le prouver à soi-même qu'en le prouvant aux autres et en obtenant cette preuve d'eux. »[16]

Tous les personnages du mythe Batman sont autant de figures archétypales qui, dans leur unicité ne réussissent pas à vivre avec les autres. Gotham est une anticité, morcelée et déchirée par les individualités qui ne réussissent pas à s’accorder, obnubilés qu’elles sont par leur singularité, solitudes éclatées, elles sont incapables de se ressaisir en communauté, en polis.

« Moi, je suis seul et eux, ils sont tous… Telle est la devise souterraine. Le héros veut exprimer l’orgueil et la souffrance d’être unique, il se croit sur le point d’étreindre la particularité absolue mais il aboutit à un principe d’application universelle, il débouche sur une formule quasi algébrique dans son anonymité. Cette bouche avide qui se referme sur le Rien, cet effort de Sisyphe constamment renouvelé résume bien l’histoire de l’individualisme contemporain. »[17]

Toute fiction, quelle que soit son excentricité ou son apparente superficialité a ce pouvoir étonnant de toucher le cœur même de la réalité et de le montrer parfois avec plus de vérité que l’ambition documentaire ou le roman réaliste. Batman fait partie de ce genre de fictions.

Dès la première apparition du Joker[18], c’est dans une armure de chevalier qu’il choisit de se cacher pour empoisonner un groupe de personnes :





Il est le clown parodique qui renvoie le Dark Knight à sa facticité et à son propre déguisement, mais loin de l’esprit sérieux et borné du héros, le Joker est cette cruauté légère, sadique mais non sans humour. Contrairement à Batman, aveuglé par sa soif de justice, Joker semble avoir mieux compris le lien qui unit l’un à l’autre et n’hésite pas à en jouer jusqu’à questionner la nature profonde de leur relation. Il va même selon certaines versions jusqu’à réinterpréter l’épisode de sa propre transformation pour en rendre définitivement coupable Batman et ainsi légitimer comme vengeance sa folie meurtrière, comme c’est le cas dans l’épisode Batman, The Killing Joke.






Le dernier jeu vidéo consacré à Batman, Batman Arkham Origins met bien en valeur cette ambivalence et cette relation paradoxale qui s’établit entre notre héros et son ennemi mortel. Alors que le Joker est projeté par une explosion, Batman n’hésite pas à risquer sa vie pour lui porter secours. Lorsque l’abject clown comprend qu’il a été sauvé par Batman, il tue deux de ses sbires qui menaçaient le justicier masqué et essaie même de se suicider en prétextant une mort méritée. C’est alors que le jeu met en exergue un souvenir du Joker, semblable à ce qui est raconté dans la bande dessinée. L’intertextualité est alors complètement assumée dans une mise en scène totale où le joueur rejoue de façon interactive ce qu’il a pu lire auparavant. Le Joker, alors simple bandit est projeté accidentellement dans une cuve d’acide qui ruinera son apparence physique tout en ébranlant probablement sa psyché.
EXTRAIT VIDEO : 05 - Batman Arkham Origins - Batman Saves Joker


Il est le pendant ironique de l’expression de la violence contenue en chaque société. Alors que Batman est l’incarnation de la violence juste et encore maitrisée par l’homme, Joker, mais aussi bien d’autres méchants qui eux aussi ont plongé dans la folie, sont le pendant négatif de la libération de la violence absurde, sans fin et sans nécessité. Parce qu’elle échappe à toute compréhension humaine et à toute compréhension immanente, l’absurdité du bouffon, sa folie en un certain sens est le moyen d’accéder au tout autre qu’est le sacré. En tant que freak ou misfit, le méchant dans Batman fait souvent figure d’inadapté social, d’exclu qui fait rejaillir sur le monde qui l’a banni, la violence symbolique dont il a été la victime.


« Dans certaines sociétés, il y a des clowns et des bouffons sacrés. Les Américains du nord ont leur trickster. Il y a les fous royaux, les rois des fous et toutes sortes de souverains temporaires, personnages à la fois comiques et tragiques, régulièrement sacrifiés au terme de leur bref triomphe. Ces figures incarnent toutes le jeu de la violence sacrée […]. Il faut rapporter tout ceci à la violence collective, bien entendu, et plus spécifiquement à un certain mode de cette violence. A côté de l’expulsion « sérieuse », il a toujours dû exister une expulsion fondée en partie au moins sur le ridicule. De nos jours encore, les formes adoucies, quotidiennes et banales de l’ostracisme social, se pratiquent le plus souvent sur le mode du ridicule. […] »[19]


Le criminel comme le justicier sont deux réactions à une injustice originelle, le meurtre de ses parents pour Bruce Wayne et son accident dans une usine chimique pour Jack Napier. A cause identique, les deux individus vont pourtant adopter une réaction diamétralement opposée. Réduire autant que faire se peut l’iniquité pour Batman, faire en sorte qu’il n’y ait plus qu’iniquité pour le Joker, voilà deux raisons d’être antithétiques et irréconciliables.

Ce contre quoi se construit Batman, et d’une certaine manière ce à quoi il est renvoyé dans la construction dialectique de son identité, c’est le monstrueux, l’inhumain. C’est pourquoi, même si dans ses premières années, il est confronté à des malfrats ordinaires, très rapidement sa Némésis, le Joker, présent dès la première parution devient son ennemi privilégié. Plus qu’un simple adversaire, il est le miroir déformant qui renvoie le chevalier noir à sa plus sombre noirceur. On pourra ainsi reprendre à René Girard son hypothèse du désir mimétique pour expliquer les métamorphoses du désir et surtout la nature de la rivalité entre Batman et le Joker. Batman apparait comme monstrueusement déchiré par le meurtre de ses parents, sa transformation grotesque en homme chauve-souris n’est guère plus saine que la transformation de Jonathan Crane en épouvantail pour transformer ses compétences en chimie et en psychologie en moyen de faire mourir de peur ceux qui l’ont humilité. On peut alors comprendre la situation du justicier dans le croisement de deux configurations de désir bien distinctes.


« La passion chevaleresque définit un désir selon l’Autre qui s’oppose au désir selon Soi dont la plupart d’entre nous se targuent de jouir. Don Quichotte et Sancho empruntent à l’Autre leurs désirs en un mouvement si fondamental, si originel, qu’ils le confondent parfaitement avec la volonté d’être Soi. »[20]

Alfred tente de retenir Bruce Wayne et l’empêche de sombrer psychologiquement tout en l’aidant dans sa lutte contre le crime en espérant que son jeune maitre « se réveille » un jour et que les dégâts ne seront pas irréversibles. Pourtant Bruce veut s’engager toujours plus, contraignant ainsi son père de substitution à l’aider à mener à bien sa quête. La dynamique de ces désirs rivaux interdit toute résolution et fige le rapport dans une tension constante dont l’enjeu est le droit à dire ce que doit être le réel et il y a fort à parier que le plus psychologiquement dérangé des deux ne soit pas le majordome.

Si Batman est l’idéaliste Don Quichotte, alors son majordome Alfred est le pragmatique Sancho Panza, et Joker est le rival malheureux qui entretient le désir même du héros de poursuivre la justice. Sans en être l’unique condition, il l’attise continuellement. Joker est selon la taxonomie nietzschéenne un réactif puisque son combat n’est rien d’autre qu’une jalousie réveillée par la vision d’une force sublime dépositaire d’une autorité naturelle.

« Pour qu’un vaniteux désire un objet il suffit de le convaincre que cet objet est déjà désiré par un tiers auquel s’attache un certain prestige. Le médiateur est ici un rival que la vanité a d’abord suscité, qu’elle a, pour ainsi dire, appelé à son existence de rival, avant d’en exiger la défaite. »[21]

Lorsque pour rendre cette jalousie plus évidente encore Tim Burton symbolise l’enjeu de ce désir mimétique par Vicky Vale[22] dans Batman, on ne peut s’empêcher de penser à l’analyse conceptuelle offerte par René Girard dans son œuvre Mensonge romantique et vérité romanesque. Le réalisateur récidive même en plaçant Catwoman au cœur de la rivalité entre Batman et le Pingouin dans sa deuxième œuvre, Batman Returns.

Ce n’est donc peut-être pas tant par soucis de la justice que notre justicier laisse en vie le clown sadique que parce qu’il en va de sa raison d’être en tant que justicier. Cette piste interprétative mérite d’être soulevée et permet d’explorer avantageusement les profondeurs abyssales de la psyché de Batman, bien qu’elle n’occulte pas toutes les autres raisons psychologiques à l’œuvre dans sa quête.

L’interdit moral du meurtre qu’il s’impose, précisément pour se distinguer des criminels qu’il combat est la barrière objective qui fonde l’identité du Batman en lui évitant de basculer du côté obscur de la justice qu’est la vengeance. Loin de vivre de façon pleinement passive la violence dont il se fait le relais, Batman, par sa volonté propre réussit à imprimer sa marque dans Gotham et si la ville n’est pas pour autant sauvée, sa destruction ou sa dissolution est retardée à la fin de chaque aventure du chevalier noir. Quelle ambiguïté de vouloir sauver cette ville qui a la particularité de produire les monstruosités qui la mettent en danger !

« Pour peu qu’on songe aux catégories sociales et au genre d’individus qui fournissent leur contingent de victimes à des rites comme celui du pharmakos : vagabonds, miséreux, infirmes, etc., on peut supposer que la dérision et les moqueries de toutes sortes entraient pour une bonne part dans les sentiments négatifs qui s’extériorisent au cours du sacrifice afin d’être purifiés et évacués par lui. » [23]

C’est donc bien Gotham, comme mégalopole regroupant une kyrielle d’individus, de monades éclatées incapables de ressaisir la totalité dont ils font partie qui est productrice de la violence dont ses citoyens sont tour à tour victimes et bourreaux. Si Batman est une tragédie, c’est parce qu’il est fondamentalement un héros moderne, héritier d’une civilisation urbaine mortifère dont la technique et l’immoralité a arraché l’homme à l’existence authentique, incapable qu’il est de vivre dans un monde qu’il a lui-même rendu inhabitable. Bruce Wayne devient Batman parce qu’une violence injuste lui a enlevé ses parents. Jack Napier devient le Joker pour sanctifier la violence et conquérir le monopole de la reconnaissance des citoyens de Gotham et de Batman. Oswald Cobbelpot devient le Pingouin parce que difforme, il est rejeté par ses propres parents. Selina Kyle devient Catwoman, précipité du haut d’un immeuble par un homme d’affaire malhonnête. Ai-je besoin de poursuivre la liste encore pour montrer que tous les personnages de l’univers de Batman sont constitués dans ce rapport particulier de l’individu au reste de la société qu’est l’exigence de la reconnaissance ? [24]

IV ) Batman, quelle morale pour le héros humain ?



Batman n’est pas seulement utile pour penser la technique ou l’identité, il permet également de penser de façon nouvelle les problèmes moraux traditionnels de la philosophie, en proposant de nouveaux motifs à la réflexion. On retrouvera ainsi dans le très bon ouvrage de vulgarisation philosophique, de nombreuses réflexions sur la morale, publié aux Etats Unis, chez Blackwell, permettant de distinguer très nettement l’utilitarisme et le déontologisme pour montrer in fine que Batman est bien plus proche, philosophiquement parlant, d’une conception continentale du devoir qu’auprès de l’utilitarisme anglo saxon. 



« Batman est-il un utilitariste ou un déontologiste ? Ou ni l’un ni l’autre ? 



L’argument en faveur du meurtre du Joker est fort évident, si Batman tue le Joker, il empêcherait tous les meurtres que le Joker pourrait commettre dans le futur. Ce raisonnement est typique de l’utilitarisme, un système éthique qui requiert de maximiser le bonheur total ou le bien être résultat de nos actions. Sauver de nombreuses vies par le sacrifice d’une seule représente un gain évident de bien être ou d’utilité et bien que ce soit un choix trgique, les utilitaristes l’assumeraient probablement. » [25]

Ce petit livre développe de façon fort intéressante cette réflexion, et je ne la prolongerai guère donc, afin de ne pas, redire, ce qui a été dit avant moi. En revanche, il me semble que l’interrogation utilitariste peut être intéressante puisqu’elle assume, si elle est rigoureuse, l’affirmation que la fin justifie les moyens. Ce que j’aimerais montrer, c’est que précisément Batman se refuse à cela, et c’est précisément ce qu’il l’oppose à un méchant majeur de la mythologie de Gotham, Ra’s al Ghul. Alors que celui-ci cherche à obtenir l’immortalité en se baignant dans le puits de Lazare pour poursuivre sa quête de justice éternellement, Batman accepte sa mortalité et la finitude de sa mission. Cette opposition radicale témoigne en même temps d’une certaine conception de la vertu. L’homme ne peut être vertu que dans l’acceptation de ses limites constitutives et l’hubrys, en même temps que l’excès est désir de ce qui n’appartient pas à l’homme. 

« Au jour de ta chute, toute la foule au milieu de toi sombrera au cœur des mers... Parce que tu as dit "Je suis Dieu"! » [26]



La première vertu de l’homme doit donc être de savoir rester à sa place. Si cela semble aussi évident et aussi simple depuis l’antiquité et le théâtre grec en passant par la Bible, c’est parce qu’il en va d’une intuition humaine fondamentale. L’homme doit garder la mesure de son humanité, que ce soit dans les moyens qu’il emploie ou dans les fins qu’ils se donnent. 

« Le devoir des mortels, et leur grandeur possible, résident dans leur capacité de produire de choses - œuvres, exploits et paroles - qui mériteraient d'appartenir et, au moins jusqu'à un certain point, appartiennent à la durée sans fin, de sorte que par leur intermédiaire les mortels puissent trouver place dans un cosmos où tout est immortel sauf eux. » [27]

Si Ra’s se propose lui aussi de combattre le mal, c’est habité par une conviction meurtrière qu’il mène son épuration et les moyens qu’il emploie sont aussi mauvais que le mal qu’il combat. Loin de faire disparaitre le mal, il s’en fait le bras armé en usant d’une violence déraisonnable et vicieuse, qui provoque dans son sillage autant de violence que celle qu’elle se promettait d’éteindre. Lorsque Clausewitz étudie la guerre, il distingue deux moyens par lesquels on peut renverser l’adversaire : 

« Maintenant se présente la question de savoir comment on peut agir sur la probabilité du succès [de la guerre]. Ce sera naturellement d’abord par les mêmes moyens qui conduisent au renversement de l’adversaire : la destruction de ses forces militaires et la conquête de ses provinces. Cependant, aucune des deux n’est plus exactement la même selon la fin visée. En attaquant la force militaire de l’ennemi, nous agirons d’une manière tout à fait différente, si après avoir frappé le premier coup nous le faisons suivre d’une série d’autres jusqu’à la ruine complète de l’adversaire, ou si nous nous contentons d’une seule victoire pour troubler la confiance de l’adversaire, lui inoculer le sentiment de notre supériorité et par conséquent lui inspirer des inquiétudes sur l’avenir. Ne voulant atteindre que ce dernier résultat, nous ne ferons pas dans l’œuvre de la destruction de ses forces que les efforts suffisants. » [28]

La guerre, si elle ne veut pas se prolonger indéfiniment doit adapter les moyens qu’elle emploie pour reconduire les nations belligérantes à la paix. Si à une agression de frontière ou quelques escarmouches meurtrières on réagit par une punition généralisée à l’égard de l’intégralité de la population jusqu’à l’affamer au moyen d’un blocus [29], on peut prévoir que les moyens employés, loin de garantir la paix la menacent plus encore. Mais revenons-en à nos moutons, ou plutôt devrais-je dire, à nos chauves-souris. Si Batman emploie une violence meurtrière, ne risque-t-il pas d’attiser plus encore, une certaine haine à son égard, et à l’égard des idées qu’il défend. Doit-il neutraliser ou doit-il tuer les adversaires qu’il affronte ? C’est à cette question que Batman et Ra’s répondent différemment. 


Si ses premières relations avec Batman semblent laisser augurer en lui un nouvel allié, en réalité, tout cela tourne très vite court lorsque le justicier masqué se rend compte que les moyens vicieux employés par Ra’s Al Ghul compromettent et contaminent la fin juste qu’il s’était pourtant fixée. 

« Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. Or, quand ton regard pénètre longtemps au fond d'un abîme, l'abîme, lui aussi, pénètre en toi. » [30]

Le Chevalier Noir, au nom des valeurs chevaleresques qu’il défend ne peut donc pas être l’allié de Ra’s, et au contraire, il apparaît comme un de ses plus farouches adversaires en tant qu’il croit incarner le bien, plus qu’aucun autre de ses adversaires. 


BARR M., BINGHAM J., Batman, son of the Demon, DC Comics, 1987.




La technique, parce qu’elle se subordonne à l’homme et aux fins qu’il se donne n’est ni morale, ni immorale, elle n’est qu’un moyen neutre susceptible de laisser à l’homme sa liberté pleine et entière, sauf lorsqu’elle devient aliénante parce contre nature. Mr Freeze, rendu fou par la cryogénisation de sa femme poursuit aveuglément une résurrection impossible. 



À plusieurs reprises, Batman lui-même est confronté à sa propre tentation fasciste de faire régner un prétendu ordre par la violence. Systématiquement, ce devenir est avorté par la raison même de Batman. C’est la rationalité qui lui permet de ne pas céder à la toute-puissance qu’il pourrait conquérir de fait. Cette obsession et cette crainte de rejoindre ceux qu’il combat, notre justicier masqué s’y confronte assez régulièrement, que ce soit dans des cauchemars ou dans des anticipations fictives, ou dans des aventures dystopiques, il se représente assez clairement ce que serait l’échec de sa vocation de justicier. C’est l’objet principal du comics consacré aux trois fantômes de Batman : Batman and Son, The Three Ghosts of Batman.






S’il correspond donc bien, dans ces perspectives à ce que l’on peut imaginer par une caricature du surhomme, plus fort, plus rapide, plus puissant, il ne s’agirait guère pour lui de devenir autre chose que le nouveau maître de Gotham. Loin d’être surhomme, il est homme supérieur encore prisonnier du rapport de domination.



L’enfant que Bruce pourrait avoir eu avec Talia Al Ghul, Damian est, assez régulièrement l’incarnation même de ce désir de puissance malsain et corrompu. Dans le troisième triptyque de Batman and Son, The Three Ghosts of Batman, marqué par la culpabilité de ne pas avoir sauvé son propre père, il va s’efforcer de marcher sur ses pas.








Il affronte un des anciens adversaires de Batman qui a choisi lui aussi de prendre l’apparence du chevalier noir. Le rival vainqueur et le concurrent vaincu s’affronte dans un duel fratricide dans lequel Wayne finit par vaincre et tue son adversaire, marquant ainsi une victoire pour l’esprit du Batman, même s’il déroge à la règle morale à laquelle s’était astreint son père. 

Il ne faut donc pas s’imaginer que Batman soit, tel qu’il est compris par ses créateurs un personnage aveugle de ses propres contradictions puisque de nombreux scénarios mettent en scène cette part obscure du chevalier noir. J’aimerais qu’on ne s’imagine pas seulement cette noirceur sous le masque du romantisme héroïque mais que l’on comprenne ce qu’elle a de véritablement inquiétant. Le Dark Knight, surnom dont on affuble régulièrement Batman, ce n’est pas le chevalier noir, le noir est encore une teinte bien trop absolue pour qualifier l’ambiguïté de ce héros, alors que c’est précisément l’exploration des complexités psychologiques du Dark Knight qui fait tout l’intérêt de cette œuvre protéiforme. C’est cela qui nous autorise à en parler avec nuance et subtilité, qui doit être partie intégrante de l’éducation morale des jeunes auxquels s’adresse, sans doute, en premier lieu, il faut bien le dire, les comics. 

« Quand on est jeune, on vénère ou on méprise sans y mettre encore cet art de la nuance qui forme le meilleur acquis de la vie, et l'on a comme de juste à payer cher pour n'avoir su opposer aux hommes et aux choses qu'un oui et un non. »[31]

L’ambiguïté morale des différents protagonistes est précisément ce à l’aune de quoi se forge et se développe l’esprit moral et critique du jeune (ou du moins jeune) lecteur. Le discours moral de Batman, si tant est qu’on puisse le formuler aussi précisément et aussi distinctement est donc performatif, s’il n’a aucune efficacité dans Gotham puisque le héros est sans cesse reconduit à le répéter est performatif dans le réel. Il produit chez le lecteur ce qu’il ne produit pas chez les adversaires à l’intérieur du mythe. 

V) Batman est-il un homme politique ?



Avant toute chose et avant même de présenter qui est ce fameux justicier masqué, j’aimerais réfléchir à la nature de l’Etat et à ce qui permet d’affirmer qu’une communauté d’hommes est une cité. En effet, certains regroupements d’hommes sur un territoire donné et durant une période de temps déterminée ne donnent pas nécessairement naissance à ce que l’on appelle une cité. Pour qu’il y ait effectivement une communauté d’hommes institutionnelle, il faut que ces individus manifestent la volonté de vivre ensemble et que cette volonté soit signifiée de façon régulière. Dans le cas contraire, on ne saurait parler, à parler rigoureusement d’une cité ou d’une vie politique, il ne s’agira alors que d’une contiguïté entretenue par la nécessité économique ou alors purement hasardeuse. La cité n’est pas une organisation purement gratuite, elle est très clairement déterminée par sa fin qui est de garantir le bonheur et la vertu pour les individus vivant sous son égide. 

« Donc évidemment, la cité ne consiste pas dans la communauté du domicile, ni dans la garantie des droits individuels, ni dans les relations de commerce et d'échange ; ces conditions préliminaires sont bien indispensables pour que la cité existe ; mais, même quand elles sont toutes réunies, la cité n'existe point encore. La cité, c'est l'association du bonheur et de la vertu pour les familles et pour les classes diverses d'habitants, en vue d'une existence complète qui se suffise à elle-même. »[32]

Dès lors que la cité, la ville pour employer un langage plus moderne, devient l’occasion de nouveaux vices et de nouvelles turpitudes rendus possible par l’extrême concentration de la population, alors on comprend que la ville moderne est peut-être même l’antithèse même de la cité antique. Dans la mesure où la modernité encourage l’individualisme, elle construit une forme paradoxale de vie en communauté, où il s’agit plutôt d’une proximité physique que d’un véritable engagement collectif, ce fameux vivre ensemble, réclamé à cor et à cris par les responsables politiques de tous bords. 

« L’égoïsme nait d’un instinct aveugle, l’individualisme procède d’un jugement erroné plutôt que d’un sentiment dépravé. Il prend sa source dans les défauts de l’esprit autant que dans les vices du cœur. L’égoïsme dessèche le germe de toutes les vertus, l’individualisme ne tarit d’abord que la source des vertus publiques mais à la longue, il attaque et détruit toutes les autres et va enfin s’absorber dans l’égoïsme. »[33]

L’individualisme induit par la démocratie telle qu’elle existe aux Etats Unis selon Tocqueville conduit les hommes à vivre non plus ensemble, mais côte à côte, dans des espaces contigus jusqu’à la promiscuité mais sans pouvoir se réunir. De ce fait, l’action politique nécessaire à la démocrate est rendue impossible par le désengagement qu’induit nécessairement la distribution égalitariste du pouvoir politique. 

« Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà ce qui fait la patrie. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, travailler ensemble, combattre ensemble, vivre et mourir les uns pour les autres. La patrie, c’est ce qu’on aime. »[34]

Qui osera encore affirmer qu’une telle formulation du patriotisme est d’actualité dans nos démocraties modernes ? Il ne s’agit pas par-là d’affirmer qu’il faille s’en émouvoir, mais revoir nos représentations de la vie politique et de l’action politique. On pourrait tout à fait imaginer que c’est cette déception première qui est à l’origine de la formation du super héros. En constant l’échec de l’action politique et l’impossibilité de l’action individuelle dissoute dans une société mondialisée, seule reste le super pouvoir, la super action individuelle, comme si en elle se concentrait toute la force de l’action politique. En réalité, c’est comme si la providence étatique s’incarnait en un individu pour agir directement sur l’injustice. 


C’est ainsi que naissent à quelques années d’écarts deux modèles bien distincts de justiciers : Superman et Batman. 

En vérité, Superman et Batman sont très clairement deux conceptions irréconciliables de l’excellence humaine et il est donc tout à fait logique que malgré leurs partenariats possibles et leur fin morale partagée ils restent profondément irréconciliables. 

Si Batman ne formule aucun principe politique explicite, en évitant soigneusement toute collusion avec les autorités, on ne peut nier que l’exercice de la justice ne comprenne, par ses conséquences concrètes, une part non négligeable de théorie politique. Gotham City telle qu’elle est décrite dans la mythologie de Batman apparaît comme une ville où le vice n’a jamais été vaincu, et de ce fait, appartient au temps mythique de l’imperturbable et de l’inchangé. Le chevalier noir pourrait dès lors apparaître sous les traits d’un messie annonciateur d’une nouvelle ère… où le vice serait vaincu et où Gotham sortirait enfin de la spirale destructrice à l’intérieure de laquelle elle s’est elle-même piégée. 

« Le nouveau apparaît donc toujours comme un miracle. Le fait que l'homme est capable d'action signifie que de sa part on peut s'attendre à l'inattendu, qu'il est en mesure d'accomplir ce qui est infiniment improbable. Et cela à son tour n'est possible que parce que chaque homme est unique, de sorte qu'à la naissance quelque chose d'uniquement neuf arrive au monde. »[35]

Alors qu’on pouvait à bon droit imaginer que l’apparition du chevalier noir viendrait remettre les choses en ordre, il apparait qu’il n’a été un contrepoids à l’entropie naturelle de la communauté humaine, enfermant définitivement Gotham dans l’ailleurs mythique où rien ne change et où tout est répété. En ce sens, il serait donc malvenu de parler de politique pour Batman puisqu’il ne change rien à l’état de la ville ou de la communauté humaine à laquelle il appartient. La politique c’est l’action collective établie par des lois et des règles en vue d’agir sur la cité et la vie des citoyens et l’échec répété de Batman à faire changer les choses devrait nous interroger sur son réel pouvoir. Ne fait-il pas, au fond, que retarder l’inévitable catastrophe qui se réalisera un jour ou l’autre ? Ne ferait-il pas mieux alors de se retirer du monde pour se concentrer sur lui-même et se livrer à la philosophie ? 

« Il s'agit toujours d'échapper aux calamités de l'action en se réfugiant dans une activité où un homme, isolé de tous, demeure maître de ses faits et gestes du début à la fin. (...) Fuir la fragilité des affaires humaines pour se réfugier dans la solidité du calme et de l'ordre, c'est en fait une attitude qui paraît si recommandable que la majeure partie de la philosophie politique depuis Platon s'interpréterait aisément comme une série d'essais en vue de découvrir les fondements théoriques et les moyens pratiques d'une évasion définitive de la politique. »[36]

Pourtant Batman se refuse à quitter le monde des hommes pour gouter la solitude du sage. Puisque il n’agit pas selon la loi mais selon le juste, il n’agit pas politiquement, son action a des conséquences politiques, certes, mais n’est pas de nature politique. Si les lois permettent de reconnaître l’autorité de mauvais gardiens, comme le sont les policiers corrompus et les politiciens véreux, alors, il n’apparaît pas possible d’obéir à la loi et de servir le juste dans le même temps. Là où l’inspecteur Jim Gordon et Batman se distinguent très nettement, c’est parce que le premier choisit précisément de s’efforcer de concilier le juste et la loi quand le justicier nocturne assume le divorce entre les deux. 

« Par contre, quand les gardiens des lois et de la cité ne sont gardiens qu'en apparence, tu vois qu'ils la ruinent de fond en comble, alors que, d'autre part, ils ont seuls le pouvoir de la bien administrer et de la rendre heureuse. »[37]

La loi n’est-elle pas le seul moyen par lequel peut s’instituer durablement l’équilibre politique ? Et pourtant, il faut bien imaginer un homme qui surveille les gardiens qui nous surveillent. Si Batman connait bien les faiblesses humaines, Superman, lui en revanche n’interroge jamais ni la légitimité du pouvoir ni sur les conditions de sa coopération. Il apparaît comme l’extension légale du pouvoir d’Etat, l’exercice d’une force sans mesure, légitime grâce à une substantialisation du bien et du mal qui empêche logiquement aux super-héros de mal agir et contraint les méchants au mal. Si le Dark Knight ne manque pas d’esprit critique à l’égard de l’action étatique et de sa propre action, ce n’est pas le cas du superhéros en collant rouge et bleu. 

En effet, Superman aide à plusieurs reprises son gouvernement. Nixon lui-même est montré pour illustrer les liens privilégiés du super-héros et du président[38], et ce dernier n’hésite à lui demander son soutien et son implication ; et alors même que notre musclé en collant désavoue la politique menée par Washington, il jure de lui obéir. 



Mais cette aide n’est pas que fictionnelle, loin de là, elle s’étend aussi au-delà du comics, puisque le comité de la maison blanche de John Fitzgerald Kennedy a collaboré avec l’éditeur de Superman[39] pour promouvoir l’exercice physique et l’alimentation saine ; sans même remarquer que ce n’était pas cette hygiène de vie qui était à l’origine de la force surnaturelle du super héros extraterrestre. C’est sans doute plus facile d’éradiquer une ville de 60 000 habitants que de faire maigrir un peuple où l’obésité devient une maladie. C’est sans doute pour cela qu’il est dépeint, dans The Dark Knight Returns comme un simple pion, à la solde du pouvoir américain ; c’est un des critères fondamentaux de sa distinction avec Batman.





Bruce Wayne est devenu Batman pour venger la mort de ses parents. Mais faute de pouvoir la venger, il punit ceux qui sont responsables de crimes semblables. Sa vengeance nécessairement insatisfaite est poursuivie par procuration dans l’arrestation des criminels. Il est essentiel de rappeler que Batman n’inflige nulle punition, si ce n’est les violences mises en œuvre dans l’immobilisation du délinquant, il ne remplace pas l’Etat, mais le supplée de façon exceptionnelle, et même sans l’accord de l’Etat. Si elle n'est pas légale au sens où elle n'est pas la punition de l'Etat, elle n'en apparaît pas moins légitime parce que le bourreau, chargé de l'application de la peine n'investit nulle passion dans l'exercice de sa profession.

EXTRAIT VIDEO : Batman The Animated Serie - 1x14 - Amour On Ice





C'est pourquoi Batman s'interdit le meurtre ainsi que toute violence inutile dans ses interventions. Il ne fait que prévenir l'exécution du mal par le méchant, mais, en aucune manière il n'en est le juge. Il n'intervient jamais (du moins à ma connaissance) de façon à contacter les juges pour les influencer ou prédéterminer la peine à appliquer aux criminels. Il n'empêche pas non plus la libération légale à l'expiration de la peine des prisonniers, ce qui n’est pas d’ailleurs sans révéler une certaine naïveté du pouvoir politique et une certaine absurdité de la justice. Batman est indépendant du pouvoir judiciaire et peut être considéré comme un agent de la police auquel on aurait conféré un droit de prescription et d'ordonnance pour qu'il puisse intervenir avec plus de vigilance et d'efficacité. L’ordre qu’il fait régner n’est nullement celui que l’Etat exigerait, mais celui que l’homme moral en lui s’impose à lui-même, dans l’immédiateté de la conscience :


« Être moi, signifie dès lors, ne pas pouvoir se dérober à la responsabilité, comme si tout l’édifice de la création reposait sur mes épaules. […] L’unicité du Moi, c’est le fait que personne ne peut répondre à ma place. »[40]


Batman n’est donc pas une super police, mais un simple agent libre, mu par l’exercice de l’impératif catégorique, tel qu’il pourrait être compris comme l’exercice de ce qui pouvait être universalisé sans nuire à l’humanité qui vise l’accomplissement de la justice en s’interdisant toute passion et toute implication personnelle.


Il n’est ni un juge, puisqu’il laisse la qualification des faits au tribunal, ni un bourreau puisqu’il n’exécute jamais la sentence, mais le détective, qui retrouve la trace des criminels en rassemblant les critères et les preuves qui permettent de les confondre et l’homme d’action qui les retrouve et les arrêtent avant qu’ils ne nuisent pour les remettre à la justice. En mettant sous les barreaux, les délinquants et les criminels, Batman améliore considérablement les conditions de vie dans la cité. Faut-il espérer pour autant qu’il réussisse, à faire disparaître le mal qui habite Gotham ?


Pouvons-nous nous attendre à ce que l’effort de Batman améliore la quantité de bonheur (pour le dire en des termes utilitaristes) de la cité ? Le bonheur ne semble même pas être une voie de réalisation envisagée, puisque seuls l’assouvissement des pulsions et l’exercice de leur volonté tyrannique semble être ce qui importe. En vérité, ce que tous « les méchants » partagent dans cet univers[41], c’est leur ego qui les conduit souvent à mépriser les règles sociales afin d’exister authentiquement. 


« Les groupes sociaux se fabriquent des morales à leur propre usage, par lesquelles chacun soustrait à l’atteinte du mal son activité spécifique. Il y a ainsi une morale de l’homme de guerre, une morale de l’homme d’affaire, et ainsi de suite, dont le premier article est de nier qu’on puisse commettre aucun mal quand on mène régulièrement la guerre, les affaires, et ainsi de suite. Toutes les pensées qui circulent dans une société, quelle qu’elle soit, sont influencées par la morale particulière du groupe qui la domine. »[42]


Que penser alors de la morale d’une société (gouvernée ?) dominée par de riches hommes d’affaires ? Une morale est-elle encore possible dans un monde réglé par l’efficacité et la recherche du profit ? Ne serait-ce pas plus invivable qu’un monde gouverné par des supers méchants ? Le cynisme d’un homme d’affaire comme Max Shrek, qui rejette des produits toxiques dans les rivières avoisinantes et qui fait assassiner son collègue et associé, a-t-il quoi que ce soit à envier au cynisme du Joker ou du Pingouin ?


Extrait vidéo : Tim Burton - Batman Returns - Max Shrek et le Pingouin 



Cette relativité de la norme sociale est discréditée par le pathos hors normes que subissent les personnages qui ne peuvent plus retourner à une situation de normalité après les traumatismes subis revendiquant avec violence un droit à la différence qui n’est autre qu’un droit à l’exercice de la violence pour contraindre le réel à leur propre volonté. En s’affranchissant du groupe, l’hyper individu en rejette la morale montrant ainsi la facticité de ces conceptions morales ordinaires. 

Alors que Joker est le méchant qui ne cesse d’exiger la reconnaissance de sa singularité et de sa différence, le Pingouin, au contraire, malgré sa malformation monstrueuse ne cesse de demander sa reconnaissance en tant qu’être humain et la reconnaissance de la dignité particulière qu’on devrait lui prêter. Abandonné par ses parents à sa naissance, Oswald Cobblepot n’a jamais recueilli, selon l’œuvre de Burton, Batman Returns, que l’attention des visiteurs du cirque qui l’a recueilli, qui tient manifestement plus du Freak Show que de l’acrobatie. Tout son combat est donc de réintégrer l’humanité et la norme sociale dont il a été chassé, même si cela doit se faire par la participation politico-mafieuse. C’est toute l’ambiguïté du personnage de Batman dépeint dans cet épisode, en s’opposant à la réintégration du Pingouin dans la normalité sociale, il le condamne à sa monstruosité. Fait-il pour le mieux ? Le malaise est réel et certain tout au long du film. 

Ainsi, les méchants normaux que sont les parrains de la mafia ou les truands ordinaires ne sont jamais à l’abri des « super-méchants » qui les méprisent pour leur conformisme et leur faiblesse. 

Cette authenticité à un prix, elle est libération des pulsions violentes de l’individu, elle est expression gratuite de la cruauté que nous parvenons à refouler en profondeur par le long travail d’éducation dont nous nous faisons les acteurs. 

« Dans le développement individuel, nous l'avons déjà dit, l'accent principal est porté le plus souvent sur la tendance égoïste ou aspiration au bonheur ; l'autre tendance, qu'on pourrait appeler civilisatrice, se contente en règle générale d'un rôle restrictif »[43]

Batman, contrairement aux autres individus de son univers, et en particulier ses adversaires réussit à canaliser ses pulsions plutôt qu’être vaincu par elle. C’est la raison qui triomphe sur l’affect et le pulsionnel et qui permet au justicier de ne pas céder ni à la folie, ni à la répétition éternelle de la vengeance.

VI ) Bat-conclusion



Batman n’est donc pas un super héros, et ceux qui l’affirment, le font nécessairement par ignorance. Batman n’est qu’un homme, c’est que nous apprend son rapport à la technique, dont il sert, sans se laisser asservir. Batman n’est qu’un homme dont la constitution est dialectique, comme chacun d’entre nous, il n’est donc pas une autoprojection de la puissance en dehors d’elle-même, il est lui aussi réaction aux autres et à son milieu. Batman n’est qu’un homme par la nature de son action politique, exceptionnelle mais encore limitée, par la réserve qu’il émet de lui-même à propos de l’exercice de sa propre force. Batman est donc ce héros, humain, trop humain, à même de dire la spécificité de notre humanité moderne sans nous leurrer sur notre finitude et notre dignité. 


Il faudrait cependant encore interroger Gotham comme le lieu même du mythe, ville moderne, coupée de toute inscription dans la tradition, comme métaphore de ces immensités urbaines où le sens de l’existence devient menacée à la fois par le recouvrement progressif du monde par la technique et la disparition d’un sol et d’un horizon métaphysique. Ce lieu qui pourrait être partout sans être nulle part précisément contamine jusqu’à la folie ceux qui y habitent dépassés par l’esprit, ou plutôt l’absence d’esprit de ces endroits. La longue décomposition du sens finit par former le terreau de la folie comme en attestent les nombreux adversaires de Batman. 

« Nietzsche comme Heidegger discernent en effet le nihilisme plus dans un processus culturel que dans de simples positions théologiques. Pour eux, le nihilisme s’est incarné, a pris véritablement corps dans les objets, les attitudes, les marchandises, des processus, le dispositif technique (Gestell) de sorte que l’acosmisme, qu’il véhicule comme disqualification du monde sans signification ni valeur, s’est lui-même concrétisé paradoxalement dans le monde. »[44]

C’est pourquoi une réflexion sur Batman ne peut se passer d’une réflexion profonde sur la modernité et les perversités nouvelles qu’elle induit et le sens du monde qu’elle perd. En ce sens, Bruce Wayne, par les atours de la modernité dont il s’habille s’investit d’une dimension paradoxale, ses parents ont fait fortune dans une multinationale dont on dit qu’elle est vertueuse, et du haut de sa stature sociale se soucie d’une façon peu commune du peuple. S’agit-il de voir en cela un retour de la noblesse ? Curieux pour le peuple américain qui n’a guère eu l’occasion de la connaitre. 

« Ainsi la modernité technicienne et capitaliste n’est-elle pas uniquement mue, comme le croient de manière naïve à mon avis Hans Blumenberg et Axel Honneth, par une attitude positive envers le monde à travers sa mise en valeur rationnelle dans la science et la technique, mais également, de manière peut-être plus souterraine, par une mise à disposition du monde qui dénote son absence fondamentale de valeur. »[45]

Batman ne serait-il donc rien d’autre qu’un affreux réactionnaire, répétant par son action l’individualisme héroïque antique ? Mais ne faut-il pas cette folie pour encore oser affirmer que tout cela a un sens ? Cela rend alors cohérent le personnage, de sa méfiance vis-à-vis de la technique, de sa vertu dépassée le faisant dépasser le simple rang de la création fictionnelle pour le faire entrer au panthéon des héros de l’humanité, d’une dignité semblable à celle d’Achille, d’Ulysse ou de Jésus. 






[1] BETTLEHEIM B., Psychanalyse des contes de fées, « Le conte de fées et le mythe », Optimisme contre pessimisme, Pluriel, Paris, 1976.

[2] HADOT P., Exercices spirituels et philosophie antique, Exercices spirituels antiques et « philosophie chrétienne », Bibliothèque de l’Evolution de l’humanité, Albin Michel, Paris, 2002.

[3] DOROTHEE DE GAZA, Œuvres spirituelles, §60, 27, traduction Cerf, édition Cerf, Paris, 1963.

[4] CLAUSEWITZ, De la guerre, Livre I, Fin et moyen dans la guerre, traduction Neuens, GF Flammarion, Paris, 2014.


[5] NIETZSCHE F., Le Gai Savoir, Livre troisième, §125, traduction Wotling, GF Flammarion, Paris, 1998. 

[6] MORRISON G., McKEAN D., Arkham Asylum, DC Comics, 1989.

[7] EPICURE, Lettre à Ménécée, traduction Morel, Paris, 2009. 


[8] ELIADE M., Initiation, rites, sociétés secrètes, Initiations militaires, Gallimard, Folio Essais, Paris, 1959. 


[9] Légende recueillie par G. Le Calvez, instituteur à Caulnes à la fin du xixe siècle, citée par Le Télégramme no 20288, 22 septembre 2010

[10] ELIADE M., Initiation, rites, sociétés secrètes, Initiations militaires, Gallimard, Folio Essais, Paris, 1959.

[11] KRISTEVA J., Pouvoirs de l’horreur, « De la saleté à la souillure », Phobie de la mère et meurtre du père, Points, Seuil, 1980. 


[12] ROUSSEAU J.J., Émile ou De l’éducation, 1762, édition GF Flammarion, Paris, 2009. 


[13] VIOULAC J., L’époque de la technique, Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique, « Technique et histoire », p. 92, PUF, Epiméthée, Paris, 2009. 


[14] VIOULAC J., L’époque de la technique, Marx, Heidegger et l’accomplissement de la métaphysique, « Technique et histoire », p. 92, PUF, Epiméthée, Paris, 2009.


[15] FREUD S., Le Malaise dans la culture, chapitre III, traduction Astor, GF Flammarion, Paris, 2010. 


[16] HYPPOLITE J., Génèse et structure de la Phénoménologie de l'esprit de Hegel (1946), I, Aubier, p. 163, Paris, 1946. 


[17] GIRARD R., Mensonge romantique et vérité romanesque, « L’Apocalypse dostoïevskienne », p.294, Pluriel, Paris, 2010. 


[18] KANE B., The Legend of Batman, Spring issue n°1, 1939.



[19] GIRARD R., La violence et le sacré, Hachette littératures, Pluriel, Paris, 1972. 

[20] GIRARD R., Mensonge romantique et vérité romanesque, « Le désir triangulaire », Pluriel, Paris, 2010. 


[21] GIRARD R., Mensonge romantique et vérité romanesque, Pluriel, Paris, 2010. 


[22] Joué par Kim Basinger. 


[23] GIRARD R., La violence et le sacré, Les dieux, les morts, le sacré, Hachette littératures, Pluriel, Paris, 2008. 


[24] Il faut préciser que cette réflexion s’élabore avant tout dans le cadre de l’interprétation produite par Tim Burton dans ses deux films : Batman et Batman Returns.


[25] WHITE D.M. and ARP R., Batman and philosophy, The Dark Knight of the soul, p.7, John Wiley & Sons, Inc, USA, 2008. J’ai traduit ici, le texte anglais.

[26] ANCIEN TESTAMENT, Ezechiel, [XXVIII – 27], traduction Dhorme, Guillaumont, Hadot, Koenig, Michaéli, Paris, 1959.

[27] ARENDT H., Condition de l’homme moderne, Calmann Levy, collection Pocket Agora, Paris, 1983.

[28] CLAUSEWITZ, De la guerre, Livre I, Fin et moyen dans la guerre, traduction Neuens, GF Flammarion, Paris, 2014.

[29] Tout lien qui pourrait apparaitre avec des situations concrètes et actuelles est bien évidemment fortuit.

[30] NIETZSCHE F., Par-delà le bien et le mal, trad. Henri Albert, éd. Le Livre de Poche, coll. Les Classiques de Poche, 1991, partie IV, chap. « Maximes et intermèdes », § 146, p. 166.


[31] NIETZSCHE F., Par delà bien et mal, II, L’esprit Libre, §31, GF Flammarion, Paris.


[32] ARISTOTE, La Politique, Livre III, Chapitre 1, §13, traduction Barthélémy Saint Hilaire, Libraire philosophique de Lagrange, Paris, 1999.

[33] TOCQUEVILLE A., De la démocratie en Amérique, tome II, De l’individualisme dans les pays démocratiques, GF Flammarion, Paris,

[34] DE COULANGE F., L’Alsace est-elle allemande ou française ? Réponse à T. Mommsen. In La Revue des deux mondes, octobre 1870

[35] ARENDT H., Condition de l’homme moderne, Chapitre V, L’Action, Calmann Levy, collection Pocket Agora, Paris, 1983.

[36] ARENDT H., Condition de l’homme moderne, Chapitre V, L’Action, Calmann Levy, collection Pocket Agora, Paris, 1983.

[37] PLATON, La République, [421 – b], traduction Leroux, GF Flammarion, Paris, 2002.

[38] BYRNE J., Legends, 1986. 


[39] L’information peut être relue ici, dans sa version originale : http://www.jfklibrary.org/Exhibits/Special-Exhibits/Superman-and-JFK-Exhibit.aspx 


[40] LEVINAS E., Humanisme de l’autre homme, p.54, Le Livre de Poche, 1996.

[41] Hormis peut-être le Joker, lucide sur sa propre immoralité.

[42] WEIL S., Oppression et liberté, Gallimard, p.205, Paris, 1955. 


[43] FREUD S., Malaise dans la civilisation, traduction Leguil et Lortholary, Paris, 2010.

[44] BEGOUT B., Les récidives de la gnose, in ESPRIT, Notre nihilisme, mars-avril 2014, Paris.

[45] BEGOUT B., Les récidives de la gnose, in ESPRIT, Notre nihilisme, mars-avril 2014, Paris.




Batmanographie sélective :

KANE B., The Legend of Batman, Detective Comics #27, 1939.

MILLER F., MAZZUCCHELLI D., Batman, Year One Part 1, DC Comics, 1986.


BARR M., BINGHAM J., Batman, son of the Demon, DC Comics, 1987.
MORRISON G., McKEAN D., Arkham Asylum : A Serious House on Serious Earth, DC Comics, 1989.
DIXON C., MOENCH D., BREYFOGLE N., APARO J., Batman Knightfall, DC Comics, 1993.


O’NEIL D., GARCIA-LOPEZ J.L., Batman : Venom, DC Comics, 1993.
MORRISON G., KUBERT A., Batman and Son, DC Comics, 2006.
MILLER F., LEE J., Batman and Robin, the boy wonder, DC Comics, 2008.

MOORE A., BOLLAND B., The Killing Joke, DC Comics, 2008.

BERMEJO L., Batman, Noël, DC Comics, 2011.

WINICK J., MAHNKE D., Batman, under the Red Hood, DC Comics, 2011.


Bibliographie sélective :


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Filmographie selective :
BURTON T., Batman, Warner Bros, 1989.
BURTON T., Batman returns, Warner Bros, 1992.
NOLAN C., Batman Begins, Warner Bros Pictures, 2005.
NOLAN C., Batman, The Dark Knight, Warner Bros Pictures, 2008.
NOLAN C., Batman The Dark Night Rises, Warner Bros Pictures, 2012.
HELLER B., Gotham, Warner Bros Television, 2014.
Ludographie selective :
Batman Arkham Asylum, Rocksteady Studio, XBOX 360, 2009.
Batman Arkham City, Rocksteady Studio, XBOX 360, 2011.
Batman Arkham Origins, Rocksteady Studio, XBOX 360, 2013.